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Lorsque le droit national ne répond pas aux besoins des femmes, les traités deviennent un outil

Par : Oonagh Fitzgerald –


Lorsque Sandra Lovelace est retournée dans la Première Nation de Tobique après la fin de son mariage, cette femme malécite s'est retrouvée, avec ses enfants, privée de services et déchue de son statut d'autochtone au regard du droit canadien parce qu'elle avait épousé un homme non autochtone.


Le chemin de la justice a conduit Lovelace jusqu'aux Nations unies, soulignant ainsi comment la gouvernance mondiale et le droit international ont contribué à montrer où le droit national a échoué à protéger les femmes et les filles vulnérables.


Alors que la Commission de la condition de la femme des Nations unies tient sa soixante et unième réunion à New York du 13 au 24 mars, le moment est bien choisi pour réfléchir à la manière dont le droit international peut contribuer à renforcer les droits de l'homme et à protéger les plus vulnérables, à enrichir le droit national en vue de l'autonomisation économique des femmes, à inspirer nos dirigeants et à ouvrir la voie pour que le droit international du commerce et de l'investissement tienne compte des besoins, des perspectives et des ambitions des femmes.


Aujourd'hui, le plus grand problème de droits humains au Canada reste le traitement et la gouvernance des peuples autochtones. Les femmes autochtones subissent de multiples désavantages, comme l'ont montré de manière douloureuse les cas de 1200 femmes autochtones assassinées ou disparues. Mais il y a des progrès. Une femme de la nation Kwakwaka'wakw, Jody Wilson-Raybould, est la première ministre indigène de la justice et, avec le soutien total du gouvernement Trudeau, elle a enfin lancé une enquête nationale sur cette crise. Ce n'est que lorsque les femmes et les filles autochtones pourront vivre sans craindre la violence, la discrimination et les abus et pourront participer pleinement à la vie économique que l'autonomisation des femmes au Canada sera pleinement réalisée. L'adhésion du gouvernement canadien aux appels à l'action de la Commission Vérité et Réconciliation et son récent engagement à " embrasser " la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones constituent une orientation importante pour ces efforts visant à éliminer la discrimination historique et à atteindre l'autonomisation économique.


L'affaire Lovelace est jusqu'à présent la seule affaire relative au Protocole facultatif des Nations Unies se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) impliquant le Canada qui soit pertinente pour l'égalité des femmes. Mary Two-Axe Earley, Jeannette Lavell, Yvonne Bedard et Lovelace ont cherché à obtenir un statut égal pour les femmes autochtones en vertu de la Loi sur les Indiens. Lovelace a invoqué une violation du droit de jouir de sa culture (article 27 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques) en raison des dispositions de la loi sur les Indiens qui retiraient leur statut aux femmes autochtones si elles épousaient des hommes non autochtones. Elle a obtenu gain de cause, ce qui a conduit à la modification de la Loi sur les Indiens en 1985, afin de rendre leur statut à celles qui l'avaient perdu.


Quatre plaintes ont été enregistrées contre le Canada en vertu du Protocole facultatif à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDAW), dont trois ont été jugées irrecevables. Dans la seule affaire examinée sur le fond, introduite par Cecilia Kell pour perte de logement, le Comité CEDAW a estimé que le Canada avait manqué à ses obligations en vertu des articles 2(d), 2(e) et 16 de poursuivre une politique d'élimination de la discrimination à l'égard des femmes et d'éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans toutes les questions relatives au mariage et aux relations familiales, respectivement. Le Comité a constaté une discrimination fondée sur l'intersection du sexe, de la violence conjugale et du fait d'être autochtone, et a décidé que les États parties devaient reconnaître et interdire juridiquement ces formes de discrimination croisées et leur impact négatif cumulé sur les femmes concernées. Le Comité a recommandé que Mme Kell reçoive une indemnisation ainsi qu'un logement de remplacement équivalent, et que l'État augmente l'accès à un avocat de permanence autochtone féminin et garantisse l'accès à la justice pour les victimes de violence domestique.


Dans son rapport de 2016 sur l'examen périodique du Canada au titre de la CEDAW, le Comité a formulé de nombreuses recommandations. Il a recommandé au Canada de diffuser correctement les informations relatives à la Convention, au Protocole facultatif et aux recommandations générales du Comité, et de leur donner pleinement effet ; de supprimer toutes les dispositions discriminatoires restantes de la Loi sur les Indiens ; de renforcer l'intégration de la dimension de genre ; de promouvoir la justiciabilité des droits de la CEDAW, afin qu'ils puissent être jugés par les tribunaux ; et de former les juges et les avocats à la Convention. La Cour suprême du Canada, dans l'affaire Divito c. Canada (Sécurité publique et protection civile), a clairement indiqué que la Charte canadienne des droits et libertés " devrait être présumée offrir un niveau de protection au moins aussi élevé que celui que l'on trouve dans les documents internationaux sur les droits de la personne que le Canada a ratifiés ". Ainsi, les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux doivent connaître le contenu des instruments internationaux relatifs aux droits de la personne que le Canada a ratifiés, comme la convention sur la discrimination à l'égard des femmes, et leur donner consciencieusement plein effet.


Le Comité a félicité le Canada pour la nomination d'un cabinet de ministres fédéraux respectant la parité entre les sexes et a noté le nombre élevé de femmes juges à la Cour suprême (4 sur 9) et à d'autres niveaux de l'appareil judiciaire, mais s'est inquiété de la faible représentation des femmes dans les assemblées territoriales (26 %), les mairies (28 %), les conseils municipaux (18 %), la Chambre des communes (26 %) et le Sénat (37 %), un chiffre qui inclut Lovelace, qui est devenue la première femme autochtone nommée au Sénat du Canada. Le Comité a recommandé l'adoption de mesures visant à éliminer les obstacles structurels à la réalisation des droits politiques des femmes et à leur engagement dans la vie publique, ainsi que l'élaboration de programmes de formation et de mentorat en matière de leadership et de négociation.


En ce qui concerne l'emploi, il a été recommandé d'encourager les femmes à se lancer dans des professions non traditionnelles, et que le gouvernement adopte un cadre national de garde d'enfants fondé sur les droits afin de donner aux femmes davantage de possibilités de travailler à temps plein, et de mettre en place des systèmes confidentiels et sûrs pour lutter contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail. Il a également été recommandé d'augmenter le financement et de renforcer les stratégies visant à lutter contre les stéréotypes discriminatoires et les obstacles structurels qui dissuadent les filles de suivre des études supérieures en sciences, en technologie, en ingénierie et en mathématiques, et de mettre en place des politiques de tolérance zéro en matière de violence et de harcèlement dans toutes les écoles.

En ce qui concerne l'autonomisation économique des femmes, le Comité a recommandé la mise en place d'une assistance sociale adéquate, d'un nombre suffisant de structures de garde d'enfants abordables et d'options de logement abordables et adéquates.


Le Comité s'est également inquiété de l'impact négatif du comportement des sociétés transnationales canadiennes, en particulier dans le secteur minier, et de l'impact qu'elles ont sur les droits consacrés par la Convention pour les filles et les femmes locales. Le Comité s'est dit préoccupé par l'insuffisance du cadre juridique permettant de tenir toutes les entreprises et sociétés du Canada responsables des violations des droits fondamentaux des femmes commises à l'étranger, par l'accès limité des femmes victimes aux recours judiciaires et par l'absence d'un mécanisme indépendant efficace d'enquête sur les plaintes. Il a recommandé l'adoption d'une législation régissant la conduite des sociétés enregistrées ou domiciliées au Canada en ce qui concerne leurs activités à l'étranger, et que le Canada mette en place un mécanisme d'enquête efficace, adopte des mesures pour faciliter l'accès à la justice et veille à ce que celles-ci tiennent compte de la perspective de genre. Le Comité a recommandé que, lors de la négociation d'accords de commerce et d'investissement, le Canada reconnaisse la primauté des obligations internationales en matière de droits de l'homme sur les intérêts des investisseurs, afin que le règlement des différends entre investisseurs et États ne crée pas d'obstacles au respect intégral de la convention sur la discrimination à l'égard des femmes.


L'actuelle ministre des Affaires mondiales et ancienne ministre du Commerce, Chrystia Freeland, a fait la promotion d'un programme progressiste de commerce et d'investissement qui soutient l'autonomisation économique des femmes et d'autres aspects des 17 objectifs de développement durable (protection de l'environnement, réduction des inégalités, élimination de la pauvreté, accès à la justice pour tous, mise en place d'institutions inclusives et responsables, etc.) La reconnaissance d'un lien entre le genre et la capacité à participer au commerce et aux investissements internationaux a périodiquement attiré l'attention au niveau mondial. Tout au long de 2015 et 2016, les travaux de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED) et d'ONU Femmes ont été cohérents, et le thème du Forum public 2016 de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), " Le commerce inclusif ", semble avoir été lié, tout comme le rapport du Groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations unies sur l'autonomisation économique des femmes, Leave No One Behind.


Les mesures en faveur de l'égalité des sexes dans le domaine du commerce sont soutenues par les objectifs de développement durable, les instruments relatifs aux droits de l'homme et le Programme d'action de Pékin +20 (2015), axé sur l'égalité des sexes. À l'occasion de la Journée internationale de la femme, la CNUCED a publié une déclaration selon laquelle "l'égalité des sexes reste le plus grand défi en matière de droits de l'homme. L'autonomisation économique est un moyen unique et puissant pour les femmes de mieux contrôler leur propre vie. Une croissance inclusive ne peut se produire sans leur pleine participation." Le Dr Mukhisa Kituyi a déclaré : "L'autonomisation économique des femmes change la donne en matière de développement. Nous ne devons laisser personne de côté pour l'Agenda 2030... Pour aller vers l'avenir avec des changements substantiels et accomplir l'Agenda 2030, nous devrons changer radicalement la situation actuelle et encourager une égalité substantielle à tous les niveaux."


Diverses études ont été menées sur le lien entre le développement économique et les politiques, accords et règles commerciales non sexistes. L'un des résultats de ces recherches est le consensus selon lequel les politiques, accords et règles commerciales non sexistes peuvent avoir un impact négatif sur les femmes, car ils peuvent exacerber les situations sociales et économiques existantes qui empêchent les femmes de participer pleinement et équitablement au commerce. Face à cette situation, plusieurs organisations non gouvernementales et pays ont lancé des programmes visant à soutenir et à former les femmes dans le domaine du commerce et, en outre, à analyser l'impact des politiques, accords et règles commerciales sur les femmes dans le domaine du commerce. La question du genre a été soulevée dans divers forums liés à l'OMC, tels que les événements ministériels parallèles à l'OMC, les forums publics de l'OMC et les partenaires de l'aide au commerce. Toutefois, on constate une réticence générale à intégrer des solutions dans la structure institutionnelle de l'OMC ou dans ses règles de fond.


Le lien entre le genre et le commerce est bien connu. Au fil des ans, l'OMC a progressivement pris conscience de la pertinence des droits de l'homme, des normes de travail, du développement durable et de la protection de l'environnement pour les travaux de l'OMC. Il existe déjà une base solide de soutien de la part des membres de l'OMC et de la société civile en faveur de l'élimination des impacts du commerce sur les femmes. Les membres devraient maintenant commencer à mettre en avant les actions et les initiatives qui contribueront à la réalisation d'un commerce intégrant la dimension de genre. Leave No One Behind, le rapport du Groupe de haut niveau des Nations unies sur l'autonomisation économique des femmes, propose des mesures pratiques que les États peuvent prendre pour promouvoir un traitement équitable des femmes salariées et garantir des opportunités aux femmes entrepreneurs dans le commerce électronique et les chaînes de valeur mondiales. Si les membres de l'OMC soulevaient les questions de genre dans les propositions de négociation, ainsi que dans les examens des politiques commerciales, et s'ils prenaient des mesures au niveau national pour inclure les femmes dans le commerce, cela permettrait de promouvoir la question au sein de l'OMC et pourrait entraîner une revitalisation indispensable de cette institution de gouvernance mondiale. (Il convient de noter que des avocates canadiennes ont exercé et continuent d'exercer un leadership juridique en faveur de l'autonomisation économique des femmes à l'OMC, comme Debra Steger, Valerie Hughes, Victoria Donaldson, et au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements, comme Meg Kinnear).


Pendant ce temps, lors des réunions de la Commission de la condition de la femme à New York, le slogan invoqué par l'ONU, " Aucune femme laissée pour compte ", nous rappelle que le succès de l'autonomisation économique des femmes passe par l'autonomisation de toutes les femmes, y compris celles rendues vulnérables par des désavantages multiples et croisés.


Comme l'illustre l'histoire de Lovelace, le droit international en matière de droits humains a contribué à montrer où le droit canadien laisse tomber les plus vulnérables - les femmes et les filles autochtones. Maintenant que la Cour suprême a enfin clarifié le fait que la Charte canadienne protège tous les droits humains internationaux contenus dans les traités que le Canada a ratifiés, il convient de souligner que le droit international en matière de droits humains offre un potentiel énorme pour enrichir le droit national en vue de l'autonomisation économique des femmes au Canada. De même, il peut inspirer nos dirigeants et éclairer la voie pour que le droit international du commerce et de l'investissement soit inclusif des besoins, des perspectives et des ambitions des femmes.


Copyright 2017 le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale. Cet article a d'abord été publié par le Centre pour l'innovation dans la gouvernance internationale et est reproduit ici avec autorisation.


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